jeudi 10 mars 2011

La récupération de la mémoire historique en Espagne.


Aujourd'hui où l'extrême droite est à l'ordre du jour, il faut rappeler et se rappeler que ces mouvements conservateurs sont les ennemis des classes populaires. L'histoire l'a montré.

Quelques réflexions sur le débat de la Récupération de la Mémoire Historique en Espagne. 


« Un passé qui ne passe pas. »
Henry Rousso, Le syndrome de Vichy, 1990.

« Past is never dead. It's not even past. »
William Faulkner, Requiem For A Nun, 1951.

75 ans après le début de la Guerre Civile espagnole, 36 ans après la fin de la dictature franquiste, et avec un régime parlementaire qui est celui de la Constitution monarchique de 1978, il existe un problème politique et social non résolu, engendré par ces événements : l’existence de milliers de victimes de cette dictature, et leurs familles qui réclament leurs corps disparus ainsi qu’une réparation morale et juridique. Des victimes qui ont subi les prisons et les Camps de concentration, ou qui ont été assassinées et enterrées dans des milliers de fosses communes, sans qu’aucune reconnaissance sociale ou politique leur ait rendu justice. C’est même plus, ce sont les partis de la droite – héritiers de l’appareil d’Etat franquiste – et la complicité de la gauche parlementaire durant la Transition démocratique, qui se sont chargés de passer sous silence et d’oublier jusqu’à l’existence des victimes d’un régime tyrannique et terroriste, né d’un coup d’Etat devenu guerre civile de par la résistance populaire. Le mouvement de la Récupération de la Mémoire Historique est la lutte des parents et des victimes de la dictature pour la reconnaissance et la réparation juste de cette ignominie et survivre avec dignité à la bassesse de l’oubli. C’est la lutte organisée des victimes et de leurs parents, de leurs héritiers, de milliers de militants qui recherchent une vérité occultée pendant tant d’années.

L’échec de l’armée républicaine en 1939 face à l’armée fasciste du général Franco n’a pas supposé la fin de la cruauté d’une guerre civile. Si les hostilités belliqueuses des deux armées organisées se sont terminées, il n’en a pas été ainsi de la répression politique et sociale à laquelle ont été soumis les vaincus et tous ceux qui ont osé s’affronter d’une forme ou d’une autre au régime. Et surtout, la répression s’est acharnée sur les militants, persécutés jusqu’à l’extermination, des organisations tant politiques que syndicales, du mouvement ouvrier qui ont combattu au sein de l’armée républicaine. Ce qui a également supposé que toute la classe travailleuse a été soumise à la surveillance, la répression et l’exploitation des classes dominantes qui ont organisé le coup d’Etat du 18 juillet 1936.
Cependant, le processus politique de la Transition supposa la claudication des partis de gauche dans les possibles responsabilités de la dictature. La « réconciliation » entre les deux Espagne qui se sont battues s’est réalisée en tirant un rideau du silence sur les crimes de la dictature. Pour le Parti Communiste Espagnol et le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, le pacte avec les franquistes supposait le retour à la légalité et au jeu démocratique. Et il fallait en payer le prix. L’un des prix a été la Loi d’amnistie de 1977. Cette loi libérait les prisonniers politiques. Mais en réalité, cette loi supposait l’amnistie de tous les crimes de la dictature. Elle a été une véritable loi de point final. Pour la droite, n’importe quelle tentative d’expliquer la vérité de la dictature était une vengeance. Comme d’autres l’expliquaient, la violence et la répression a été la même dans les deux camps, pourquoi alors rouvrir des blessures ? Si cela était aussi simple, il ne devrait y avoir dans cette situation aucun frein à la recherche de la vérité. Alors, pourquoi a-t-on mis des obstacles aux enquêtes sur la répression franquiste ? Pourquoi a-t-on détruit des fichiers et archives sur ce sujet ? Pourquoi refuse-t-on ou empêche-t-on d’ouvrir les fosses communes où sont enterrés les fusillés ? Il est vrai qu’il y a eu de la répression des deux côtés, mais la répression de gauche a été réparée par les fascistes.

Durant ces dernières années, l’utilisation de la « mémoire historique » s’est généralisée comme concept pour expliquer la nécessité de se rappeler les faits passés qui ont supposé des souffrances à des secteurs de la population réprimés par le franquisme. Cela signifie aussi la société.
            «  La mémoire est un concept imprécis, bien que doté d’une grande force de sens et de valeurs. L’action de beaucoup d’incitatives menées à bien par ceux qui ont fait partie du mouvement social connu comme Récupération de la Mémoire doit être celle de la reconnaissance de faire le bilan et mettre à jour la connaissance qui implique le large domaine des sciences sociales) comme fondements d’une société qui présente un fort déficit moral et politique à propos de son passé immédiat (reconnaissance plutôt que gratitude envers ces personnes qui ont souffert en silence.) […] C’est pourquoi, dans une conception culturelle large, dans laquelle nous devons insérer notre intérêt pour la mémoire et pour faire d’elle un outil précieux pour les objectifs d’une action culturelle qui aie dans les valeurs de la mémoire un recours à l’identité et au développement social. » [1]

La reconstruction de ce passé a rempli les étals des librairies, des bibliothèques et a fait les unes des journaux et moyens de communication en général. Les études réalisées par l’historiographie la plus actuelle ont révélé des informations, apporté des chiffres, des hypothèses et des recherches qui ont été révélatrices de l’oppression d’un régime dictatorial qui a implanté la terreur dans ses premières années jusqu’à évoluer pour donner la monarchie parlementaire actuelle.
Mais en réalité, ce qui a fait avancer les recherches et l’historiographie a été le mouvement de base, les victimes, les parents qui ont obligé à modifier, avec leurs témoignages, ce qui avait été écrit. C’est même plus, beaucoup de recherches locales qui ont apporté de nouvelles données sont dues à ces témoignages.

La Récupération de la Mémoire historique en Espagne est une nécessité pour l’existence des Espagnols. On ne saurait vivre sans savoir ce qui s’est passé et pourquoi. On ne peut vivre sans mémoire. Et pour cela, il y a des milliers de personnes qui se battent pour déterrer la vérité. Cette vérité qui git cachée sous la terre de centaines de fosses, qui exige que l’on la découvre et qu’on l’étudie. C’est le seul moyen de connaître le nombre de victimes et de contester les décennies de propagande manipulatrice qui refusait l’évidence. Et il ne suffit pas de poser des monuments ou des plaques en souvenir, il est nécessaire de connaitre le nombre de fusillés et d’enterrés.

Historiquement, nous nous trouvons dans cette période historique avec une déroute des organisations ouvrières. Cette période, que recouvre les années de 1931 à 1939 se caractérise par le fait d’ouvrir une période révolutionnaire dans laquelle des paysans ouvriers de l’industrie et agricoles prennent en main la société dans les zones où le coup d’Etat n’avait pas triomphé. Cette défaite en finit avec la guerre civile et celle-ci suppose le sommet d’une crise sociale et politique où les travailleurs et leurs organisations ont mit en cause l’ordre social régnant à l’époque, dominé par les classes bourgeoises et l’Eglise. Dans cette époque d’espoir peut-être démesuré, la répression franquiste a supposé pour des milliers de personnes pour leurs parents et compagnons le silence, l’oubli, la dissimulation quand ce n’était pas la discrimination. L’expression des faits signifie une forme de thérapie pour ceux qui ont subi la répression. Parler de quelque chose qui les a traumatisés et qu’ils ont dû taire durant des années signifie aussi une forme de libération. Et tout ceci implique un processus éducatif et d’apprentissage : formatif car il écrit son récit et de connaissance puisqu’il suppose une confrontation dialectique parmi ses souvenirs, l’histoire écrite et la réalité se dépassant à travers le dialogue, l’expression orale et écrite et les conclusions collectives et individuelles qu’apporte le processus éducatif.

La guerre civile et l’après-guerre ont profondément marqué les générations espagnoles durant des décennies. C’est pour cela qu’historiquement et pour le futur, il est nécessaire de récupérer la mémoire cachée, et de la récupérer en entier : tant la vérité de la répression comme ses causes, les luttes et conflits de classe, les idées révolutionnaires. Parce qu’une révolution s’est en effet mise en marche, déclenchée par le coup d’Etat. Les gens se sont soulevés avec le peu d’armes qu’ils avaient et ont organisé la résistance. Et ce sont eux qui ont été assassinés.
Le franquisme suppose l’échec des travailleurs et de leurs organisations. Léon Trotsky a su voir de manière lucide les conséquences de la défaite pour le peuple espagnol. Il commentait en 1939 :
            « Pour les ouvriers et paysans espagnols la défaite n’est pas seulement un épisode militaire : elle constitue une terrible tragédie historique. Elle signifie la destruction de leurs organisations, de leur idéal historique, de leurs syndicats, de leur bonheur, de leurs espoirs qu’ils ont alimenté pendant des années, voire même des siècles. Un être humain doté de raison peut penser que celle classe peut reconstruire dans l’espace d’un, deux ou trois ans de nouvelles organisations, un nouvel esprit millitant et expulser Franco ? Je ne crois pas. Aujourd'hui l'Espagne est plus loin de la révolution que n'importe quel pays. »

Et il faut chercher les causes de cette défaite dans les conflits sociaux qui apparaissent à ce moment là et comme facteur déterminant, la lutte qu'on mené des hommes et leurs organisations pour s'opposer au fascisme et à l'ordre social qu'il représentait. Cette lutte se basait sur l'analyse et la compréhension de l'ordre social du moment et la tentative de le changer. Il y avait des idées révolutionnaires derrière ces hommes qui tentaient de transformer le monde. Il est nécessaire d'également de les récupérer. Comme l'a démontré l'histoire, la violence de classes se répète à chaque fois que la classe dominante a besoin de survivre. Dans l'Espagne de 1936, il y avait la bourgeoisie agraire et ses clercs, les banquiers, et l'oligarchie. Parce que derrière ceux qui répriment, il y a toujours ceux qui les financent.

Par conséquent, la récupération de la mémoire historique ne peut être partiale. L'étude, la recherche sur la répression est nécessaire. La restitution de la dignité aux familles également. La connaissance publique de ces événements encore plus.
Nous avons dit qu'il y eu une défaite. Chercher le pourquoi de cette défaite peut nous faire connaître les différentes responsabilités dans la direction des conflits sociaux qui apparaissent. Ce raisonnement vaut également pour les autres étapes historiques. Et cela nous servira pour sûr pour le futur, tirant les enseignements de cette extermination, qui a supposé une répression brutale et des dizaines d'années de silence.



[1]    « Que mi nombra no se pierda en la historia », consultado en http://www.todoslosnombres.org el 03.02.2010

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