mercredi 3 décembre 2014

[Fr] - Agnès Vannouvong - Interview

Agnès Vannouvong est une jeune écrivaine prolifique et une universitaire au parcours brillant. Elle présente son essai Jean Genet, les revers du genre, Presses du Réel, Dijon, 2010 ; son roman Après l'amour, Mercure de France, Paris, 2013 ainsi que son roman à paraitre Gabrielle, Mercure de France, Paris, 2015.


Ce n'est pas le sexe qui m'intéresse. 
C'est ce qui se trouve à l'origine de l'érotisme, le désir. 
Ce qu'on ne peut, peut-être qu'on ne doit pas, apaiser avec le sexe. 
Le désir est une activité latente et en cela il ressemble à l'écriture : 
on désire comme on écrit, toujours.

Marguerite Duras.

Vous êtes à Besançon car vous avez été invitée à participer à un séminaire organisé par le Centre de Recherches Interculturelles et Transdisciplinaires (EA 3224), séminaire vous étant consacré ; le thème est genre et amour. Vous venez échanger avec les chercheur.ses autour de votre roman Après l'amour. Quel est votre parcours ?

Photo : Nadège Murez
J'ai fait des études de Lettres qui m'ont amenée à travailler sur la problématique du genre et des identités sexuelles. Je suis l'auteure d'une thèse sur Jean Genet, publiée aux Presses du Réel, qui s'intitule Jean Genet, les revers du genre. Et par ailleurs, je suis écrivain, j'ai publié un premier roman Après l'amour, publié au Mercure de France ; et je suis
enseignante à l'Université de Genève.



Votre roman est un récit cru, mais néanmoins plein de finesse et de sensibilité sur le deuil de l'amour, parfois long, après une rupture ; un texte chargé d'érotisme où les corps se livrent et s'expriment sans tabou, où seul le plaisir compte ; des corps de femmes, exclusivement, qui nous dévoilent leur intimité et nous ouvrent les portes de la communauté lesbienne de Paris ; et est l'occasion pour le lecteur d'une promenade dans les différents arrondissements de la capitale. Frénétique, l'écriture se met au diapason de cette ronde séductrice, cette course à la jouissance. Quelle est la part d'autobiographie ou d'autofiction dans le roman ?


Sur la couverture d'Après l'amour figure un genre littéraire qu'est le roman. Bien sûr, quand on écrit, on écrit à partir de soi. Je suis partie effectivement d'une expérience personnelle, une séparation, une expérience très commune pour les uns et les autres, et à partir de là j'ai fictionnalisé, fantasmagorisé, mis en fiction une expérience intime. L'autofiction est un genre littéraire dans lequel je ne me reconnais pas. C'est une étiquette qui ne me convient pas, donc je n'emploierai pas ce terme pour qualifier mon travail. D'ailleurs, je préfère le terme de roman qui me paraît plus libre et qui correspond d'avantage à ce que je peux faire. Le roman, c'est l'imaginaire, l'imagination, la création.



Quelle est la genèse de ce roman ? Comment le sujet est-il venu à vous ?

J'ai toujours voulu écrire un texte sur le corps, sur le désir, sur la sexualité entre les femmes, et c'est quelque chose qui est peut-être en lien avec mon travail universitaire. Vers 2008-2009, j'étais en train de réécrire ma thèse pour la publier sous la forme d'un essai, et je m'ennuyais tellement que j'ai naturellement ouvert un fichier pour une fiction et Après l'amour a commencé comme ça. Ce n'est pas tout à fait un malentendu, mais c'est un désir de m'embarquer dans une écriture autre que l'écriture académique et j'y ai trouvé un très grand plaisir.



Ce n'est pas souvent que des auteurs disent qu'ils ont commencé à écrire parce qu'ils s'ennuyaient ! Ce n'est pas très commun, et j'ose dire heureusement que vous vous êtes ennuyée à ce moment-là sinon ce roman ne serait pas né.
Quel est votre projet littéraire, votre credo littéraire ? Pourquoi écrivez-vous et quelle est l'intention que vous mettez derrière votre écriture ?

Ce qui m'intéresse dans la littérature, c'est la question de la vérité, du réel, de l'authenticité. J'ai accordé dans ce roman une place très importante à la question de la sensation. Qu'éprouve-t-on, que ressent-on après une séparation ? Comment se reconstruit-on, comment se refait-on, et comment se défait-on d'une histoire passée pour devenir autre ? Voilà quel a été le point de départ. Aujourd'hui, d'autres questions me préoccupent, des questions plus politiques. Ce texte, Après l'amour, est un texte politique, quelque part, puisqu'il parle d'un désir qui s'inscrit en dehors des normes. Je crois que la question de la politique, des écarts, de la limite de ce qui se fait, de ce qui ne se fait pas, de ce qui se dit, de ce qui ne se dit pas m'intéresse. C'est la raison pour laquelle j'ai travaillé longtemps sur l'oeuvre de Jean Genet.



Vous avez donc fait votre thèse sur Jean Genet, vous en avez publié une monographie Jean Genet, les revers du genre, aux Presses du Réel en 2010. Genet, comme le dit votre éditeur, est "un auteur politiquement incorrect, non récupérable. Son
oeuvre, inclassable, tordue et queer, dérange les identités, déstabilise les normes". Parlez-nous de ce personnage et de l'interprétation que vous avez fait de cet auteur, justement, inclassable.

Jean Genet est un auteur, un paria non institutionnalisé. On ne peut pas le classer. Par exemple, on ne peut pas faire de lui un écrivain Blanc du fait de ses prises de position en faveur du peuple palestinien, en faveur des Black Panthers. Cette façon de prendre parti pour une minorité contre la majorité est passionnante. Ce qui m'a intéressée chez lui, c'est aussi son histoire : un enfant abandonné, qui s'est construit seul, qui a fait de la prison, qui est une figure marginale qui a intégré cet univers très feutré et très codé de Saint-Germain-des-Prés. C'est quelqu'un qui a toujours résisté aux normes et qui a toujours été à contre-courant. Et c'est précisément ça l'écart, la différence, la façon de s'inscrire en dehors de la norme qui est fascinante. J'aime cet auteur en particulier parce qu'il a une oeuvre totalement prolifique : il a publié aussi bien des essais politiques, esthétiques, mais aussi des romans, du théâtre, de la poésie, et je trouve que c'est une oeuvre totale, tout à fait unique dans l'histoire littéraire du XXè siècle. 



Qu'est-ce que ça fait de passer derrière Jean-Paul Sartre qui a beaucoup travaillé sur Genet ? A croire qu'il n'a pas épuisé le sujet ! On peut l'ériger en figure de la liberté, en figure libertaire, et Sartre s'est intéressé au concept même de la liberté. Quel rapport entretenez-vous avec l'étude de Sartre sur le concept Genet ?

Je trouve que le texte critique le plus important, c'est précisément Saint Genet : comédien et martyr. C'est un texte que Genet détestait ! Après cette publication, il n'a pas écrit pendant des années ! Peut-être est-ce par la façon d'entrer dans son oeuvre par la perspective biographique, qui est intéressante même si elle peut paraitre dépassée. Ce que met en lumière Sartre, c'est cette notion de tourniquet des identités, que je reprends à ma sauce dans mon essai pour montrer que le genre est une notion totalement réversible. Le masculin et le féminin sont des constructions socioculturelles. Je ne sais pas si l'on peut dire que Sartre est précurseur des études queer, mais l'apport qu'il a dans la lecture de Genet est tout à fait cruciale.



Quels sont vos projets à venir ?

En janvier 2015, paraitra mon nouveau roman Gabrielle au Mercure de France. C'est un roman que j'ai écrit très vite au moment des débats très violents et haineux sur le mariage pour tous. C'est un roman choral qui met en scène la destinée d'un groupe d'amis dont le point commun est la question de la filiation. Vouloir un enfant en dehors du couple, en dehors de l'institution du mariage. Un texte en somme assez politique.


Mes sincères remerciements à Agnès Vannouvong et aux membres du CRIT.

Ecouter l'entretien :