vendredi 18 juin 2010

Une petite présentation.



« We select the most frightening, disgusting or unacceptable activities and transmute them into pleasure. We make use of all forbidden symbols and all the disowned emotions. S/M is a deliberate, premeditated, erotic blasphemy. It is a form if sexual extremism and sexual dissent. »
Pat CALIFIA, A secret hide of lesbian sexuality. 

Il s'agit ici de donner une définition de la théorie queer à partir de ses fondements philosophiques. Le mot queer est un mot anglais signifiant bizarre, étrange, anormal mais qui a comme sens additionnel celui d'insulte homophobe. Il a été récupéré par une partie du militantisme homosexuel nord-américain à la fin des années 80 pour en faire une revendication identitaire, de la même manière que les Afroaméricains s'autodéminaient niggers. Cette théorie remet en cause les concepts du genre. En effet, elle considère le genre comme étant quelque chose de construit, et non comme un fait naturel : c'est avant tout la possibilité de repenser les identités en dehors du cadre normatif d'une société qui considère la sexuation comme étant constitutive d'une division binaire entre les humains, division qui se base sur l'idée de la complémentarité dans la différence et qui s'actualise dans le couple hétérosexuel. Il faut donc procéder à une dichotomie fondamentale qui est celle de la séparation qui est celle de la séparation entre sexe et genre. Concevoir le système de genre de manière binaire comme le fait la société actuelle, c'est à dire masculin d'un côté, et féminin de l'autre, implique des conséquences non négligeables. En effet, le binarisme suppose l'opposition entre les deux, et l'opposition la domination de l'un sur l'autre. Le queer se propose donc de rompre avec d'autres oppositions de même acabit qui sont celles de hétérosexuel/homosexuel,  normal/pathologique.

La théorie queer apparait comme une controffensive destinée à répondre aux conceptions essentialistes identitaires. Elle s'attaque d'abord à l'identité sexuelle et érotique et aussi  aux catégories usuelles de sexe : elles ne doivent être en aucun cas régulées par aucune autorité morale, politique o scientifique. Le genre est un fait non naturel, profondément culturel : la construction de l'identité de genre de chacun  est donc un processus individuel et personnel. Il faut donc dénoncer l'arbitraire des normes qui définissent et maintiennent l'oposition entre ce qui est normal et pathologique pour pour repenser les identités hors du cadre normatif d'une société qui conçoit la sexualité dans une division binaire entre les humains. Le genre est une construction qui est fruit de l'expérience de chaque individu face au réel, face à son identité. Dans ce cas, on ne nait pas femme, on le devient... ou non. C'est la possibilité de concevoir l'identité selon ses besoins. C'est-à-dire que la conscience de soi est bien plus liée au langage qu'à la biologie. Le genre est donc l'application du concept universel du genre, concept idéal, platonicien, hors du réel, que nous ne pouvons que contempler et appliquer à notre manière. "El genre est une parodie sans original", dit Judith Butler. On parodie ce que l'on croit que le genre représente (l'incarnation du masculin, du féminin) et cela se fait à travers le filtre de la subjectivité. Le genre s'actualise à chaque fois qu'il est mis en scène. C'est en cela qu'il est performatif. C'est un jeu. On joue. On est l'acteur de son identité que l'on interprète comme on l'entend. Il n'y a donc pas deux genres, mais une infinité : c'est la faillite du système de genre. Judith Butler dit que "pour montrer que les catégories fondamentales de sexe, de genre et de désir sont les effets d'une certaine formation du pouvoir, il faut recourir à une forme d'analyse critique que Foucault, après Nietzsche, nomma généalogie." Il s'agit donc de comprendre ce qui politiquement est en jeu au moment de désigner ces catégories de l'identité comme si elles étaient leur propre origine et cause alors qu'ils sont les effets d'institutions, de pratiques, de discours qui proviennent de lieux multiples et diffus. Le défi de la théorie queer est d''ôter cet étiquetage fascisant (car privateur de liberté) pour pouvoir vivre librement une identité qui est clairement fluctuante. Le queer joue avec les étiquettes : les rejeter ou toutes les porter. Le but qui est fixé se défini par conséquent dans une volonté de déstabiliser le phallocentrisme et l'hétérosexualité obligatoire. (Butler: 2005) Chaque identité comporte des normes, des règles sociales à suivre sous peine d'anormalité dans une société hétéronormée. L'hétéronormativité est une structure sociale normative liée à l'idée que les êtres humains sont divisés en deux et seulement deux catégories distinctes et complémentaires - masculin et féminin - liées naturellement par un désir mutuel. C'est de cette notion que proviennent les idées de ce que sont et de ce que doivent êtres les hommes et les femmes, par le concept de citoyen universel : blanc, capitaliste, hétérosexuel et sérologiquement correct. Ce qui ne rentre pas dans la norme est réduit au statut de minorité : homosexuel, immigrant, etc. et bien évidemment femmes, la première minorité sexuelle actuelle.

Le queer est-il une a-identité ? Oui et non. C'est une non-identité qui est une identité malgré tout. C'est une identité sans essence (Halperin: 1996). Revendiquer sa queerness ne signifie pas pour autant renoncer à une identité, mais c'est reconnaitre le caractère contingent, arbitraire, politique, artificiel et réducteur des catégories socialement imposées.
Il s'agit donc de rompre les clichés issus des instances de socialisation en faisant une imitation camp, c'est-à-dire basée sur la moquerie, la dérision, la parodie, des discours dominants des mass medias.  
Mais refuser l'hétéronormativité n'est pas refuser l'hétérosexualité comme orientation ou pratique sexuelle, mais comme un régime politique (Wittig: 1992). Une politique queer serait donc une grande politique antiassimilationniste. L'assimilationnisme est ce qu'appellent ceux qui critiquent la politique de la grande majorité de la militance homosexuelle qui souhaite faire des homos des hétéros comme les autres. Le queer propose de renoncer à s'intégrer dans une société qui elle fait la différence et ne l'accepte pas,  au nom de l'universalisme qui lave plus blanc. Ces politiques gays et lesbiennes sont aussi excluantes et réussirent à créer des minorités dans la minorité qu'ils sont (transexuels, transgenres, bisexuels, etc.) Ce qui se propose c'est une construction permanente de la différence car la différence permet de résister à des discours, aux discours des micros-pouvoirs. Et face aux micros-pouvoirs, micros-fascismes (car en plus d'empêcher de dire, ils forcent à dire (Barthes: 1977)), doivent se développer des micros-résistances (Foucault: 1975). Il faut construire une praxis à cette théorie en confondant les espaces et les codes, en déstabilisant des normes, les règles, les comportements, être ex-centriques, a-normaux, sortir du placard sans entrer dans le guetto  d'une communauté fermée sur elle-même.
Chaque acte sexuel est un acte politique. Chaque relation entre les personnes est pouvoir. Tout est politique. Il n'y a pas de séparation entre le public et le privé en matière de sexe et de genre, car il est clair que ces catégories sont déterminantes et oppressives. 

La proposition qui se fait, qui ouvre un champ d'investigation futur, es d'essayer de construire une éthique queer sur les bases des éthiques utilitaristes anglo-saxonnes des XVIII et XIX siècles. Une éthique au-delà du bien et du mal comme concepts moraux universaux  fondées sur des relations contractuelles entre les personnes pour chercher le bon pour chacun et le plaisir qui y est corrélé, pour construire un hédonisme social, mené par le bon démon (εὐδαιμον) du plaisir et du bienêtre collectif. Nous devons relancer un contrat sexuel ou contre-sexuel (Preciado: 2003) fait sur le consentement comme base inaliénable. "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne. Voilà toute morale" disait Nicolas de Chamfort.

La théorie queer ressemble un peu à un tiroir fourre-tout où l'on met toutes les minorités rejetées par la société, bien que créées par elle. Mais le queer propose un mode de vie en dehors de toute domestication : il faut jouer avec les apparences, par des actes transgresseurs, par l'émancipation sexuelle. Et surtout hors du cadre normatif et surveillé des prides annuelles. Réapproprions-nous nos corps pour en faire un terrain de jeux sexuel. La transgression est le mot clé et central. Transgressons. Ensemble.

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