La théorie queer. Par delà le bien et le mal. Une théorie a-morale ?
Séminaire "gender" du Centre de Recherches Interculturelles et Transdisciplinaires
Communication présentée le 13 avril 2012
Communication présentée le 13 avril 2012
A travers cette
communication, que le CRIT m'offre la possibilité de vous présenter,
et je tiens à l'en remercier, je souhaite vous parler de théorie
queer et d'éthique, car au sein de cette théorie déconstructiviste,
de nombreux auteurs ont eu l’occasion de déconstruire l'identité
jusque dans sa propre édification, le discours, le pouvoir, laissant
un champ vide à une éthique dont on ne parle que peu. L'éthique et
la morale de notre société, bien qu'elle ne suive plus à la lettre
un décalogue quelconque, est ancrée dans ce que Foucault appelle
une épistémé judéo-chrétienne. Or, dans l'ère post-moderne qui
est la nôtre, basée sur la crise du sujet cartésien, se poser la
question de l'éthique semble être nécessaire autant que le pouvoir
est omniprésent dans chacune des relations humaines.
Je voudrais donc tenter
de soulever des questions, sans évidemment prétendre apporter de
réponses définitives, mais faire des propositions quant à l'aspect
moral ou non de la théorie queer. Entendons par éthique la science
des principes, et par morale une activité prescriptrice qui nous dit
ce qu'il faut faire ou non.
Je souhaite tout d'abord
vous parler du queer à partir de ses fondements philosophiques, afin
d'en saisir les enjeux de pouvoirs, les enjeux politiques, et qui
parle de politique parle d'éthique, éthique que je relierai au
thème du sadomasochisme, le dernier volet de mon intervention.
Le
mot queer est un mot anglais signifiant
bizarre, étrange, anormal mais qui a comme sens additionnel celui
d'insulte homophobe. Il a été récupéré par une partie du
militantisme homosexuel nord-américain à la fin des années 80,
lors de ce que l'on nomme conventionnellement « la crise du
SIDA » pour en faire une revendication identitaire, de la même
manière que les Afro-américains les plus radicaux au sein du
mouvement pour les droits civiques s'autodénominaient niggers,
nègres.
Genre ?
Cette théorie remet en cause les concepts du genre. En effet, elle considère le genre comme étant quelque chose de construit, et non comme un fait naturel : c'est avant tout la possibilité de repenser les identités en dehors du cadre normatif d'une société qui considère la sexuation comme étant constitutive d'une division binaire entre les humains, division qui se base sur l'idée de la complémentarité dans la différence et qui s'actualise dans le couple hétérosexuel.
Il
faut donc procéder à la dichotomie fondamentale qui est celle de la
séparation entre sexe et genre. Concevoir le système de genre de
manière binaire comme le fait la société actuelle, c'est à dire
masculin d'un côté, et féminin de l'autre, implique des
conséquences non négligeables. En effet, le binarisme suppose
l'opposition entre les deux, et l'opposition la domination de l'un
sur l'autre. Comme le dit Paco Vidarte, les conceptions
philosophiques actuelles proviennent d'un structuralisme « dont
la provenance linguistique introduit des catégories et des
conceptualisations basées exclusivement sur des relations
d'opposition, sur des binarismes, sur des paires de contraires
excluants comme hétérosexuel/homosexuel, homme/femme,
nature/culture, inné/acquis, et donc par voie de conséquence
normal/pathologique , en maniant une notion de différence
ontologique statique et normalisante, ce qui peut être dévastateur
et catastrophique dans le terrain des questions de genre. Le queer se
propose donc de rompre avec celles-ci.
Identité ?
La
théorie queer apparaît comme une contre-offensive destinée à
répondre aux conceptions essentialistes identitaires et aux
conceptions bourgeoises bien pensantes. Elle s'attaque d'abord à
l'identité sexuée et érotique et aussi aux catégories usuelles de
sexe : on affirme qu'elles ne doivent être en aucun cas régulées
par quelque autorité morale, politique ou scientifique qu'elle soit.
Comme
nous l'avons dit, le genre est un fait non naturel, profondément
culturel : la construction de l'identité de genre de chacun
est donc un processus individuel et personnel. Il faut donc dénoncer
l'arbitraire des normes qui définissent et maintiennent l’opposition
entre ce qui est normal et pathologique pour repenser les identités
hors du cadre normatif d'une société qui conçoit la sexualité
dans une division binaire entre les humains. Le genre est une
construction qui est fruit de l'expérience de chaque individu face
au réel, face à son identité. Dans ce cas, pour reprendre cette
célèbre phrase qui ouvre le second tome du Deuxième
sexe de Simone de Beauvoir, on ne naît pas femme, on le devient...
ou non.
C'est la possibilité de
concevoir l'identité selon les besoins de chacun. C'est-à-dire que
la conscience de soi est bien plus liée au langage qu'à la
biologie. Le genre d'un individu est donc l'application du concept
universel du genre, concept idéal, platonicien, hors du réel, que
nous ne pouvons que contempler et appliquer à notre manière. « Le
genre est une parodie sans original », dit Judith Butler. On
parodie, on interprète ce que l'on croit que le genre représente
(l'incarnation du masculin, du féminin) et cela se fait à travers
le filtre de notre propre subjectivité. Le genre s'actualise à
chaque fois qu'il est mis en scène. C'est en cela qu'il est
performatif, concept austinien, mis à jour par Judith Bulter. C'est
un jeu. On joue. On est l'acteur de son identité que l'on interprète
comme on l'entend. Il n'y a donc pas deux genres, mais une infinité
: c'est la faillite du système de genre. Judith Butler dit que
« Pour montrer que les catégories fondamentales de sexe, de
genre et de désir sont les effets d'une certaine formation du
pouvoir, il faut recourir à une forme d'analyse critique que
Foucault, après Nietzsche, nomma généalogie. Il s'agit donc de
comprendre ce qui politiquement est en jeu au moment de désigner ces
catégories de l'identité comme si elles étaient leur propre
origine et cause alors qu'ils sont les effets d'institutions, de
pratiques, de discours qui proviennent de lieux multiples et
diffus ».
Le
défi de la théorie queer est d''ôter cet étiquetage fascisant
(car privateur de liberté) pour pouvoir vivre librement une identité
qui est clairement fluctuante. Le queer joue avec les étiquettes :
les rejeter ou toutes les porter. Le but qui est fixé se définit
par conséquent dans une volonté de déstabiliser le phallocentrisme
et l'hétérosexualité obligatoire.
Chaque identité comporte des normes, des règles sociales à suivre sous peine d'anormalité dans une société qui produit à la chaine des individus hétéronormés. L'hétéronormativité est une structure sociale normative liée à l'idée que les êtres humains sont divisés en deux et seulement deux catégories distinctes et complémentaires - masculin et féminin - liées naturellement par un désir mutuel. C'est de cette notion que proviennent les idées de ce que sont et de ce que doivent êtres les hommes et les femmes, à travers du concept de citoyen universel : blanc, capitaliste, hétérosexuel et sérologiquement correct. Ce qui ne rentre pas dans la norme est réduit au statut de minorité : homosexuel, immigrant, etc. et bien évidemment femmes, la première des minorités sexuelles.
Chaque identité comporte des normes, des règles sociales à suivre sous peine d'anormalité dans une société qui produit à la chaine des individus hétéronormés. L'hétéronormativité est une structure sociale normative liée à l'idée que les êtres humains sont divisés en deux et seulement deux catégories distinctes et complémentaires - masculin et féminin - liées naturellement par un désir mutuel. C'est de cette notion que proviennent les idées de ce que sont et de ce que doivent êtres les hommes et les femmes, à travers du concept de citoyen universel : blanc, capitaliste, hétérosexuel et sérologiquement correct. Ce qui ne rentre pas dans la norme est réduit au statut de minorité : homosexuel, immigrant, etc. et bien évidemment femmes, la première des minorités sexuelles.
Une a-identité ?
Le
queer est-il une a-identité ? Oui et non. C'est une non-identité
qui est une identité malgré tout. Selon David Halperin, « c'est
une identité sans essence ». Revendiquer sa queerness
ne signifie pas pour autant renoncer à une identité, mais c'est
reconnaître le caractère contingent, arbitraire, politique,
artificiel et réducteur des catégories socialement imposées. Il
s'agit donc de rompre les clichés issus des instances de
socialisation en faisant une imitation camp, c'est-à-dire basée sur
la moquerie, la dérision, la parodie, des discours dominants des
mass medias. Je tiens à citer à ce sujet un extrait de l'essai de
Tamsin Spargo consacré à Michel Foucault :
« Le terme queer
peut fonctionner comme substantif, adjectif ou verbe, mais dans tous
les cas, il se définition en contreposition au normal et au
normalisateur. La théorie queer n'est pas un carde conceptuel ou
méthodologique singulier ou systématique, mais une collection
d'articulations intellectuelles avec les rapports entre le sexe, le
genre et le désir sexuel. Si la théorie queer est une école de
pensée, sa vision de ce qui constitue une discipline n'est
absolument pas orthodoxe. Le terme décrit une diversité de
pratiques et de priorités critiques : des interprétations de
la représentation du désir envers le même sexe dans les textes
littéraires, dans les films, dans la musiques, dans les images ;
une analyse des relations sociales et politiques de pouvoir de la
sexualité ; des critiques du système sexe-genre ; des
études sur l'identitification transexuelle et transgenrée, le
sadomasochisme et autres désirs transgresseurs. »
Mais
refuser l'hétéronormativité n'est pas refuser l'hétérosexualité
comme orientation ou pratique sexuelle, mais comme un régime
politique, comme le désignait Monique Wittig dans son essai la
Pensée straight. Une politique queer serait donc une grande
politique antiassimilationniste. L'assimilationnisme est ce
qu'appellent ceux qui critiquent la politique de la grande majorité
du militantisme homosexuel qui souhaite faire des homos des hétéros
comme les autres. Le queer propose de renoncer à s'intégrer dans
une société qui elle fait la différence et ne l'accepte pas,
au nom d'un universalisme républicain qui lave plus blanc. Ces
politiques gays et lesbiennes sont aussi excluantes et réussirent à
créer des minorités dans la minorité qu'ils sont (transsexuels,
transgenres, bisexuels, etc.) Ce qui se propose c'est une
construction permanente de la différence car la différence permet
de résister à des discours, aux discours des micros-pouvoirs. Et
face aux micros-pouvoirs, micros-fascismes (car en plus d'empêcher
de dire, ils forcent à dire1),
doivent se développer des micros-résistances2.
Il faut construire une praxis à cette théorie en confondant les espaces et les codes, en déstabilisant des normes, les règles, les comportements, être ex-centriques, a-normaux, sortir du placard sans entrer dans le ghetto d'une communauté fermée sur elle-même. Tous ces hors-norme, au lieu d'être condamnés à être des sous-produits de la machine biopolitique hétérosexuelle, les daddies, les drag kings, les trans-gouines, ont décidé de court-circuiter le processus de production et de normalisation des corps homosexuels pour se constituer en nouveaux sujets d'un devenir politique et sexuel. Beatriz Preciado et Teresa de Lauretis font toutes deux une lecture queer des écrits de Wittig, Butler et Foucault. La Pensée straight et L'Histoire de la sexualité sont devenus les deux textes centraux dans les études queer par leur constructivisme radical et leur critique de la naturalisation de l'histoire de la sexualité. Une lecture croisée des deux auteurs permet une définition de l'hétérosexualité comme suit : une technologie biopolitique destinée à la production de corps hétéronormés. Cependant, Wittig n'identifie pas l'hétérosexualité comme un dispositif biopolitique, mais comme une structure de domination qui explique l’oppression des femmes tout au long de l'histoire. La personne hors-norme serait donc celle qui a rompu le contrat sexuel en se situant dans une extériorité politique radicale.
Déterritorialisation du corps et transformation du corps hétérosexué.
Il faut construire une praxis à cette théorie en confondant les espaces et les codes, en déstabilisant des normes, les règles, les comportements, être ex-centriques, a-normaux, sortir du placard sans entrer dans le ghetto d'une communauté fermée sur elle-même. Tous ces hors-norme, au lieu d'être condamnés à être des sous-produits de la machine biopolitique hétérosexuelle, les daddies, les drag kings, les trans-gouines, ont décidé de court-circuiter le processus de production et de normalisation des corps homosexuels pour se constituer en nouveaux sujets d'un devenir politique et sexuel. Beatriz Preciado et Teresa de Lauretis font toutes deux une lecture queer des écrits de Wittig, Butler et Foucault. La Pensée straight et L'Histoire de la sexualité sont devenus les deux textes centraux dans les études queer par leur constructivisme radical et leur critique de la naturalisation de l'histoire de la sexualité. Une lecture croisée des deux auteurs permet une définition de l'hétérosexualité comme suit : une technologie biopolitique destinée à la production de corps hétéronormés. Cependant, Wittig n'identifie pas l'hétérosexualité comme un dispositif biopolitique, mais comme une structure de domination qui explique l’oppression des femmes tout au long de l'histoire. La personne hors-norme serait donc celle qui a rompu le contrat sexuel en se situant dans une extériorité politique radicale.
Quelle morale ? Le contrat.
Pour
parler de morale et d'éthique, on peut dire que la morale de notre
société est essentiellement basée sur des concepts kantiens, sur
un idéalisme platonicien si l'on analyse ceci au regard de
l'historiographie dominante de la philosophie. On va parler du bien
ou du mal comme concepts universels, comme « impératifs
catégoriques3 »,
sans s'intéresser aux conséquences des actes en soi. Pour Kant, et
afin de donner une illustration simple, le mensonge est interdit car
il disqualifie la source du droit4.
Il considère l'intention d'un acte plus par sa sainteté que par son
côté humain. On nous invite à être saints. Or je pense que la
théorie queer par sa politique de résistance aux discours dominants
a réussi à déconstruire cette morale universaliste qui nie
l’individu dans sa différence. Le pari que je souhaite faire est
celui d'aller chercher des éléments d'analyse chez des philosophes
des XVIII et XIX siècles, anglosaxons pour la plupart comme William
Godwin, Jeremy Bentham ou John Stuart Mill qui eux prennent position
pour un utilitarisme pragmatique et qui ont permis à des personnages
comme Jean Marie Guyau de parler d'une
morale sans obligation ni sanction5,
et c'est cet aspect qui me paraît vraiment intéressant et
fondamental, et amusant si l'on fait le lien entre ces philosophes
et les politiques S/M dont a si bien parlé Michel Foucault.
Les personnages dont je
viens de parler ont construit leur pensée sur une base que l'on
pourrait appelée conséquentialiste, c'est-à-dire qui rejette
l'universel, une vérité soi disant pure, pour se concentrer plus
sur la situation de quelconque acte éthique. Situation, contexte,
individu sont des données auxquelles nous avons affaire à l'heure
d'établir quelque relation que ce soi. On peut parler « d'intersubjectivité
hédoniste6 ».
Le principe de cette proposition éthique serait de chercher des
situations où il y ait plus de plaisir que de souffrance. On ne
parle plus de Bien ou de Mal, mais de ce qui est bon ou de ce qui est
mauvais en fonction des situations. Pour pouvoir faire fonctionner ce
système, je pense que l'on doit le construire sur la base d'un
contrat. Une morale hédoniste immanente, c'est-à-dire une morale où
l'on cherche le plaisir de soi autant que le plaisir d'autrui, ne
peut être qu'une morale contractuelle.
Un contrat singulier, individuel entre corps parlants7 dans lequel chacun sait ce qu'il veut. Il faut savoir savoir ce que l'on veut, ce que l'on désire afin d'être capable de la prescience des désirs de l'autre (et quand je parle de l'autre ou d'autrui, il va de soi que je ne parle pas d'autrui dans son universalité mais dans sa singularité, nous sommes entourés de milliards d'autrui). Proposons nous-mêmes notre propre impératif catégorique hédoniste : « Jouis et fais jouir sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà toute morale. », une maxime de Nicolas de Chamfort.
Un contrat singulier, individuel entre corps parlants7 dans lequel chacun sait ce qu'il veut. Il faut savoir savoir ce que l'on veut, ce que l'on désire afin d'être capable de la prescience des désirs de l'autre (et quand je parle de l'autre ou d'autrui, il va de soi que je ne parle pas d'autrui dans son universalité mais dans sa singularité, nous sommes entourés de milliards d'autrui). Proposons nous-mêmes notre propre impératif catégorique hédoniste : « Jouis et fais jouir sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà toute morale. », une maxime de Nicolas de Chamfort.
S/M, mon amour
Le meilleur exemple d'application de ces préceptes contractualistes sont les pratiques sadomasochistes. Ces relations se basent sur un contrat entre deux sujets où l'un reçoit de la violence d'un tiers et en tire du plaisir et où ce même tiers prend du plaisir à infliger de la souffrance physique. Rien de plus moral, rien de plus éthique puisque que cette relation se base sur un contrat entre deux personnes consentantes. Frapper quelqu'un sans son accord, c'est de la violence forte, le faire avec son accord, c'est une violence, certes, mais une violence douce.
Nous
connaissons l'origine des mots masochisme, de Sacher Masoch, et de
sadisme, de Sade, mais si l'on regarde de plus près l'oeuvre de
Sade, dont l'historiographie à la Lagarde et Michard ou encore la
revue Tel Quel font l'éloge, et ce n'est pas sans raison si les
élites littéraires le surnomment le divin marquis, on se rend
rapidement compte que les actes de Sade étaient loin d'être moraux,
selon la grille que je vous propose. Les
Cent-vingts journées de Sodome nous
décrivent un camp de concentration avant l'heure, ce fameux château,
où des tortures atroces sont décrites ad
nauseam. Sade n'était pas dans la
logique du contrat.
Intéressons-nous aux pratiques sadomasochistes dans le milieu gay, encore appelées
BDSM et qui constituent pour la société hétérosexuelle la
perversion des perversions. Et pour cela, je ferai référence à
l'excellent article de José Manuel Martínez Pulet : « La
construction d'une subjectivité perverse : le SM comme
métaphore politique et sexuelle. »8
Ce que à quoi on tend à
penser quand on considère le SM, c'est l'association avec violence,
pathologies, humiliation, etc. Le SM a été rejeté et même expulsé
comme pratique par les sociétés hétéronormatives, homosexuelles
et féministes. En sus de cela, selon l'analyse Gayle Rubin,
« Les sociétés occidentales modernes évaluent les actes
sexuels selon un système de hiérarchie des valeurs sexuels. Au
sommet de la pyramide érotique se trouvent les hétérosexuels
reproducteurs et mariés, en dessous, les hétérosexuels monogames
non mariés bien qu'en couple ; encore en dessous, le reste des
hétérosexuels. La masturbation comme pratique solitaire flotte de
manière ambiguë dans quelques limbes extérieures de cette même
pyramide. Les couples stables homosexuels se trouvent juste au bord
de la respectabilité, mais flottent de manière dissolue juste
au-dessus de ces groupes qui touchent le fond, dans lesquels sont
relégués les sadomasochistes, les transexuels, transgenres,
travestis, fétichistes, travailleurs du sexe et modèles de
pornographie, et se trouvent donc à la base absolue de cette
pyramide de classification, car leur érotisme transgresse toutes les
normes.9 »
Pour cela, je voudrais
expliciter la construction de cette périphérie sexuelle et comment
la théorie queer sauve et met à la lumière, entre autres, le S/M.
Michel
Foucault, dans son Histoire de la
sexualité, nous dit que « l'Occident
n'a pas découvert de nouveaux plaisirs ni de vices inédits, mais a
dessiné le visage de la perversion », et ce surtout au XIX°,
époque à laquelle apparaissent la plupart des catégories sexuelles
que nous utilisons toujours aujourd'hui. Pendant que les sociétés
orientales parlaient d'ars erotica,
l'Occident lui s'est orienté vers une scientia
sexualis qui établit une morale ou un
jeu de règles sexuelles selon si l'on parle d'acte sexuel, nous y
venons, de la délimitation du partenaire sexuel, ce que nous venons
de dire avec cette fameuse pyramide, et encore de la finalité de
l'acte sexuel.
Ayons quelques
considérations des différents carcans moraux de notre société. Le
XIX siècle est marqué par un enfermement de la sexualité,
délimitée par la fonction reproductrice qui, selon la loi, est ce
qui légitime l'union dans un couple. Ces unions qui n'engendrent pas
sont donc exclues, sauf celles ayant une finalité économiques,
comme les bordels.
Ce même XIXème siècle se met ensuite à concevoir la sexualité comme un thème particulier du discours public (relation pouvoir/discours/vérité/sexualité) contrôlé par la bourgeoisie capitaliste et chrétienne, cette dernière qui lie la sexualité à la production, comme nous venons de dire, en refusant la stérilité et la sexualité sans production et en blindant ce discours légalement et religieusement. Quant à ce dernier aspect, nous voyons comment même aujourd'hui, à l'heure de parler de sexe et de christianisme, il existe des associations avec les concepts de « péché », « honte », « confession », « ce qui est bien, ce qui est mal » ; en essence, un sentiment de culpabilité historique. Cependant, suite à la perte progressive bien que relative de pouvoir de l’Église, on a recours à d'autres mécanismes de contrôle. La médecine se charge d'étudier les pathologies et les dérives, la psychiatrie s'intéresse aux excès et aux fraudes à la procréation », la justice puni les « outrages » et les conduites considérées asociales, l'infraction aux lois matrimoniales ou familiales et du fonctionnement naturel. Et bien évidemment, pour finir, les instances de socialisation comme la famille, l'école, se chargent de la prévention de ces péchés.
Ce même XIXème siècle se met ensuite à concevoir la sexualité comme un thème particulier du discours public (relation pouvoir/discours/vérité/sexualité) contrôlé par la bourgeoisie capitaliste et chrétienne, cette dernière qui lie la sexualité à la production, comme nous venons de dire, en refusant la stérilité et la sexualité sans production et en blindant ce discours légalement et religieusement. Quant à ce dernier aspect, nous voyons comment même aujourd'hui, à l'heure de parler de sexe et de christianisme, il existe des associations avec les concepts de « péché », « honte », « confession », « ce qui est bien, ce qui est mal » ; en essence, un sentiment de culpabilité historique. Cependant, suite à la perte progressive bien que relative de pouvoir de l’Église, on a recours à d'autres mécanismes de contrôle. La médecine se charge d'étudier les pathologies et les dérives, la psychiatrie s'intéresse aux excès et aux fraudes à la procréation », la justice puni les « outrages » et les conduites considérées asociales, l'infraction aux lois matrimoniales ou familiales et du fonctionnement naturel. Et bien évidemment, pour finir, les instances de socialisation comme la famille, l'école, se chargent de la prévention de ces péchés.
C'est-à-dire que se
crée un monde de perversion morale et légale lié aux idées de
délit et de vice desquels la société doit se libérer. Il est
certain que l'Occident n'a pas réprimé le monde du sexe, il l'a mis
en lumière, pour ensuite créer des catégories et les persécuter.
S'est ainsi créé un noyau de sexualité autorisée, licite, normal,
et une périphérie rejetée, anormale, condamnable, déviante,
contre-nature, pathologique. Dans ce cas, le SM apparaît comme une
pratique perverse et maladive, et la mission politico-scientifique du
psychiatre ou du psychanalyste sera celle de persécuter et de
déterminer la sinueuse et fuyante généalogie de ces étranges
formes de plaisir dans l'histoire de l'individu (la haine de soi, des
traumatismes infantiles, incapacité de l'amour, etc.)
La théorie queer dans
son optique de visibilisation de ce que la société hétéronormée
rétrocède au rang de périphérie, pour utiliser un euphémisme
bien en deçà de la réalité va travailler sur l'aspect identitaire
et politique du SM. Comme le dit Susana López Penedo, « la théorie
queer ne s'interroge pas sur le pourquoi du SM mais analyse le pour
quoi. »
Il s'agit d'une recréation/récréation de la propre identité basée sur la satisfaction de certains désirs particuliers. Selon Michel Foucault, cette création de nouvelles possibilités de plaisirs s'obtiennent non seulement à travers la stimulation des organes génitaux mais aussi du corps dans son entièreté et de l'esprit. Ce qui est remarquable pour la théorie queer au sein des pratiques BDSM est que celles-ci constituent une praxis de la performativité du genre et de l'identité car il s'agit bel et bien d'un jeu de rôles, jeu dans lequel le rapport maître/esclave, et ses variations, sont des formes sophistiquées de sexualité car elles jouent avec des relations d'équilibre très délicates, basées sur une confiance extrême et sur le consentement. Et qui dit consentement, dit contrat, contrat entre deux sujets qui s'en remettent l'un à l'autre et dont les limites se font selon l'endurance et qui donnera plus ou moins de marge de manœuvre et de satisfaction pour le maître. Celui-ci doit être à la hauteur des nécessités de l'esclave quant au fait d'être dominé ou maltraité. Pour cela, doit exister une confiance pleine et entière dans le partenaire, et une communication et une compréhension non verbale très sophistiquée. L'utilisation de fétiches et de représentations d'une ou plusieurs des interactions ritualisées de ces pratiques (comme le spanking, le bondage, le fist fucking, etc. toutes des métaphores de la relation de pouvoir) sont souvent présentes pour recréer le fantasme et la situation de pouvoir nécessaire à une relation dont l'intention est de produire du plaisir physique et émotionnel en érotisant des parties inusitées du corps et en mettant en scène des situations performatives. Foucault parle d'une « désexualisation du plaisir » qui réside dans la rupture de cette relation qui existe entre les organes génitaux et le plaisir sexuel.
Il s'agit d'une recréation/récréation de la propre identité basée sur la satisfaction de certains désirs particuliers. Selon Michel Foucault, cette création de nouvelles possibilités de plaisirs s'obtiennent non seulement à travers la stimulation des organes génitaux mais aussi du corps dans son entièreté et de l'esprit. Ce qui est remarquable pour la théorie queer au sein des pratiques BDSM est que celles-ci constituent une praxis de la performativité du genre et de l'identité car il s'agit bel et bien d'un jeu de rôles, jeu dans lequel le rapport maître/esclave, et ses variations, sont des formes sophistiquées de sexualité car elles jouent avec des relations d'équilibre très délicates, basées sur une confiance extrême et sur le consentement. Et qui dit consentement, dit contrat, contrat entre deux sujets qui s'en remettent l'un à l'autre et dont les limites se font selon l'endurance et qui donnera plus ou moins de marge de manœuvre et de satisfaction pour le maître. Celui-ci doit être à la hauteur des nécessités de l'esclave quant au fait d'être dominé ou maltraité. Pour cela, doit exister une confiance pleine et entière dans le partenaire, et une communication et une compréhension non verbale très sophistiquée. L'utilisation de fétiches et de représentations d'une ou plusieurs des interactions ritualisées de ces pratiques (comme le spanking, le bondage, le fist fucking, etc. toutes des métaphores de la relation de pouvoir) sont souvent présentes pour recréer le fantasme et la situation de pouvoir nécessaire à une relation dont l'intention est de produire du plaisir physique et émotionnel en érotisant des parties inusitées du corps et en mettant en scène des situations performatives. Foucault parle d'une « désexualisation du plaisir » qui réside dans la rupture de cette relation qui existe entre les organes génitaux et le plaisir sexuel.
Susana López a su
parfaitement résumer les trois processus identifiés par Patricia
Duncan qui les convertissent en stratégies valides pour une mise en
pratique polítique de la théorie queer au sein du BDSM
Dans une représentation S/M, les identités ne sont pas statiques
et ne sont pas clairement délimitées ; au contraire, elles
sont construites, imaginées et sont en mouvement.
Comme les identités, le pouvoir est également construit, imaginé
et fluide. De plus, la possession et l'usage de ce pouvoir sont
négociés entre les participants avant que la scène ne débute.
Le jeu S/M se base sur la différence, sur n'importe quelle forme
que celle-ci puisse adopter, et sur l'érotisation de la différence.
J'ai
tenté donc de vous faire une présentation loin d'être exhaustive
de ce que peuvent être les pratiques BDSM et mon but était de
montrer que ces pratiques basées sur le contrat peuvent nous donner
un exemple, ouvrir une voie sur une morale. Si l'on suit l'axiome de
Jeremy Bentham qui dit que le bien être est préférable au mal
être, on trouve effectivement une contradiction apparente au sein
même du masochisme. Mais le S/M est un bien-être car le plaisir est
contractuel.
Voici donc une morale contractualiste qui pourrait s'étendre à chacune des relations entre les sujets que nous sommes. La théorie queer n'est donc pas a-morale. Elle propose une morale alternative. On peut effectivement parler d'un ars vivendi, d'un art de vivre, d'un objet, objeu, objoie, d'une éthique au-delà du bien et du mal comme concepts moraux universels, fondée sur des relations contractuelles entre les personnes pour chercher le bon pour chacun et le plaisir qui y est corrélé, pour construire un hédonisme social, mené par le bon démon (εὐδαιμον) du plaisir et du bien-être collectif. Nous devons relancer un contrat sexuel ou contre-sexuel (Preciado: 2003) fait sur le consentement comme base inaliénable. "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne. Voilà toute morale". Ceci semble alors terriblement actuel.
Voici donc une morale contractualiste qui pourrait s'étendre à chacune des relations entre les sujets que nous sommes. La théorie queer n'est donc pas a-morale. Elle propose une morale alternative. On peut effectivement parler d'un ars vivendi, d'un art de vivre, d'un objet, objeu, objoie, d'une éthique au-delà du bien et du mal comme concepts moraux universels, fondée sur des relations contractuelles entre les personnes pour chercher le bon pour chacun et le plaisir qui y est corrélé, pour construire un hédonisme social, mené par le bon démon (εὐδαιμον) du plaisir et du bien-être collectif. Nous devons relancer un contrat sexuel ou contre-sexuel (Preciado: 2003) fait sur le consentement comme base inaliénable. "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne. Voilà toute morale". Ceci semble alors terriblement actuel.
Pat Califia, dans A
Secret side of lesbian sexuality, dit en parlant du BDSM :
« Nous sélectionnons les activités les plus effrayantes, les
plus répugnantes ou inacceptables et nous les transformons en
plaisir. Nous utilisons tous les symboles interdits et toutes les
émotions rejetées. Le SM est un blasphème érotique, prémédité
et délibéré. C'est une forme d'extrémisme sexuel et de dissidence
sexuelle. »
Il est évident que
tenter de faire le lien entre la théorie queer et la philosophie
utilitariste dans le simple cadre d'une conférence paraît presque
impossible au vu du peu de temps qui nous est imparti (d'où le fait
que je n'aie fait qu'effleurer les thèses des personnages dont j'ai
parlé), et puis ce serait plutôt un thème de thèse doctorale,
mais j'avais envie de dire que finalement, la possibilité
d'acceptation des individus dans leur unité et leur unicité n'est
pas si récente que cela, et que pour construire une société
nouvelle qui cherche le bonheur du plus grand nombre, on peut aller
consulter des philosophes trop souvent mis au ban de
l'historiographie dominante ou bien mal interprétés.
La théorie queer
ressemble un peu à un tiroir fourre-tout où l'on met toutes les
minorités rejetées par la société, bien que créées par elle.
Mais le queer propose un mode de vie en dehors de toute domestication
: il faut jouer avec les apparences, par des actes transgresseurs,
par l'émancipation sexuelle. Et surtout hors du cadre normatif et
surveillé des prides annuelles. Réapproprions-nous nos corps pour
en faire des terrains de jeux sexuel. La transgression est le mot clé
et central. Transgressons. Ensemble.
1Roland
Barthes, Leçon inaugurale au Collège de France, 7 janvier 1977.
2Michel
Foucault, Surveiller et punir, 1975.
3Emmanuel
Kant, Fondation de la métaphysique des mœurs, 1795.
4Emmanuel
Kant, D'un prétendu droit de mentir par humanité ,
1797
5Jean-Marie
Guyau, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction,
Paris : F. Alcan, 1885, in-8°, 254 p
6Michel
Onfray, Le Pur plaisir d'exister, Conférences à la BnF
, éd. Frémeaux & Associés, 2007
7Beatriz
Preciado, Manifiesto contrasexual, Opera Prima, 2000, réed.
Anagrama, 2011.
8José
Manuel Martínez Pulet, « La construcción de una subjetividad
perversa : el SM como metáfora política y sexual » in
D. Córdoba, J. Sáez, P. Vidarte, Teoría Queer : políticas
bolleras, maricas, trans, mestizas,
Egales, 2005.
9Gayle
Rubin, « Reflexionando sobre el sexo : notas para una
teoría radical de la sexualidad », in VANCE, C.S :
Placer y peligro, Madrid,
Talasa, 1989.
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